Ils sont nés avec des attributs sexuels à la fois masculins et féminins. Ils (elles?), ce sont les hermaphrodites, des personnes à qui l'on fait subir dès le plus jeune âge des opérations pour «corriger» cette anomalie. Une situation que dénonce Daniela Truffer.
«C'est un garçon!», «C'est une fille!»: l'exclamation post-natale
qui fait le bonheur de tous les parents. Mais que se passe-t-il lorsque
la vie ne se conforme pas aux traditionnelles cartes de voeux et que
l'accouchement se transforme en une énigme insoluble?
Daniela
Truffer est venue au monde hermaphrodite. Les médecins, eux, ont décidé
d'en faire une femme. Cette Zurichoise de 44 ans milite contre les
opérations forcées et les traitements hormonaux infligés aux enfants nés
avec des organes sexuels indéterminés.
Douloureuses et irréversibles
Pour Daniela Truffer, il faut donner le temps aux individus de
grandir et de décider d'eux-mêmes s'ils veulent devenir un homme ou une
femme. Ou alors rester à mi-chemin, un phénomène nommé intersexuation ou
plus couramment hermaphrodisme. «Les opérations forcées ne sont pas une
solution», estime-t-elle. Une affirmation qui se base sur plusieurs
études médicales démontrant que la plupart des patients souffrent de
frustration et de regrets durant toute leur vie.
«Ces opérations
sont douloureuses et irréversibles. La probabilité de réduire ou même
d'anéantir le désir sexuel est très importante. Les opérations
cosmétiques non-consentantes violent le droit à l'intégrité physique et à
l'auto-détermination. Cela va à l'encontre des droits de l'homme»,
plaide Daniela Truffer.
Près d'un enfant sur 2000 naîtrait
hermaphrodite. Ce fait est connu des sociétés humaines depuis
l'Antiquité. Mais avec le temps, les personnes de sexe ni totalement
masculin ni totalement féminin sont devenues une minorité invisible,
particulièrement depuis que la chirurgie «corrective» est devenue la
norme au 20e siècle.
Un impératif culturel
Les docteurs et les parents agissent sous l'emprise d'un impératif
culturel qui veut que lorsque des éléments des deux sexes sont présents
sur un enfant, un choix doit être opéré au plus vite. Daniel Truffer,
qui milite pour le droit des hermaphrodites depuis deux ans, affirme que
son cas est loin d'être atypique.
Née en 1965 «sans
caractéristiques sexuelles clairement définies», elle possédait des
chromosomes masculins, un micro pénis et des testicules sous-développées
qui ressemblaient davantage à des lèvres vaginales. «Pour son bien», un
genre lui a été assigné de manière chirurgicale le plus rapidement
possible. Les testicules de Daniela lui ont été retirées alors qu'elle
avait seulement deux mois. «Ils m'ont castré!», s'indigne-t-elle.
A
l'âge de 7 ans, son micro pénis a été raccourci et transformé en
clitoris. Un vagin artificiel lui a été «attribué» à 18 ans. «La plupart
des gens que je connaîs ont moins ou plus du tout de sensations
sexuelles. C'est une atteinte cruelle aux droits de l'homme.»
Sentiment de honte
Bien qu'elle était consciente de sa différence, ni ses parents ni
les médecins n'ont expliqué de manière adéquate à Daniela sa condition.
Elle a ainsi grandi avec un profond sentiment de honte. Sa colère est
maintenant dirigée contre l'établissement médical qui tarde à changer sa
pratique en matière de chirurgie d'attribution du genre.
«Ils se
prennent pour Dieu. Les médecins encouragent les parents qui sont
complètement désorientés et ne savent que faire face à une problématique
encore taboue et secrète.»
Dans le cadre de la campagne suisse
menée contre les opérations génitales sur les enfants hermaphrodites,
Daniela Truffer a adressé au début du mois une lettre ouverte à
l'hôpital universitaire de Berne. Elle appelle les praticiens à mettre
un terme aux «opérations forcées».
Choisir son genre
De nombreux médecins adhèrent encore à l'idée selon laquelle
l'enfant a besoin d'une identité biologique claire. La question n'est
pas de savoir s'il faut opérer, mais dans quelle direction l'opération
doit être pratiquée. Dans une interview récente, le chirurgien pédiatre
bernois Zacharias Zachariou expliquait l'importance «de prendre si
possible une décision dans les deux ans qui suivent la naissance.»
Mais
le sexe biologique et le genre sont deux choses distinctes, comme le
souligne Kathrin Zehnder, sociologique à l'Université de Bâle. «La
plupart des gens pensent que ne pas procéder à une opération
chirurgicale signifie ne pas donner de genre. Or ceci, de mon point de
vue, est complètement faux. Vous pouvez de toute façon attribuer un
genre à un enfant. Même s'il semble un peu différent dans son corps,
cela ne signifie pas que vous devez le qualifier d'enfant
hermaphrodite», affirme la sociologue.
Kathrin Zehnder connaît
ainsi une mère qui traite son enfant comme une fille tout en lui
expliquant, avec des mots appropriés à son âge, qu'elle a aussi la
capacité de devenir un jour un garçon. «Je ne suis pas certaine que vous
puissiez préserver un enfant de la différence au travers d'une
opération chirurgicale, ajoute-t-elle. Que faîtes-vous si l'enfant se
sent différent? Vous ne pouvez pas faire une ablation chirurgicale de la
différence».
Dédommagement
Un consentement basé sur une bonne information est une question
difficile, selon Daniela Truffer. Ainsi, lors d'un récent procès en
Allemagne, un patient qui avait été transformé en homme lors d'une
opération de routine a touché 100'000 euros de dédommagement pour la
perte inattendue de ses organes génitaux féminins.
Un tel cas
pourrait-il se produire en Suisse? Selon Andrea Büchler, professeur de
droit à l'Université de Zurich, c'est possible. «Une intervention
médicale requiert le consentement de la personne impliquée»,
explique-t-il.
«Normalement, les parents peuvent décider pour
leur enfant, poursuit-il. Toutefois, assigner un genre au travers d'une
opération touche au plus profond de la personnalité et ne devrait donc
pas être entrepris sans le consentement de l'enfant concerné – sauf en
cas de nécessité médicale.»
Des changements
Quelques hôpitaux, comme la clinique pour enfants de Wildermeth, à
Bienne, ont déjà renoncé à manier le scalpel pour traiter des bébés
intersexués. Des tests chromosomiques sont effectués sur les enfants
dont le sexe n'est pas clair.
«Selon les résultats, nous
conseillons aux parents d'attendre jusqu'à ce que l'enfant puisse
lui-même choisir son genre, déclare Christine Aebi, endocrinologue à la
clinique. A Bienne, on ne pratique des opérations que si le
positionnement des parties génitales affecte l'élimination de l'urine ou
des selles.»
Daniela Truffer reconnaît que les parents d'enfants
intersexués sont confrontés à un dilemme terrible. Malgré la difficulté
qu'il y a à «élever un enfant à l'identité sexuelle ambiguë dans ce
monde», elle considère cependant que toute autre choix «blesse le corps
et l'esprit.»
Clare O'Dea, swissinfo.ch
(Adaptation de l'anglais: Samuel Jaberg, Olivier Pauchard)