vendredi 22 mars 2013
La cornue du Limousin, une brioche un brin gauloise...
Parmi les spécialités autour de la fête de Pâques, les brioches ont souvent la vedette : on les trouve partout en Europe, de l'Oural jusqu'à l'Atlantique. Celle-ci se fait dans le Limousin pour le jour des Rameaux. On la déguste jusqu'à deux semaines après Pâques. Vous allez voir pourquoi je la traite de gauloise.
La fête des rameaux qui a lieu une semaine avant Pâques est la version christianisée d'antiques fêtes païennes agraires de la fertilité-fécondité qui avaient lieu autour de l'équinoxe de printemps. C'est le moment où la nature reprend vie, le soleil réchauffe la terre, les bourgeons apparaissent sur les arbres, les petits oiseaux chantent, la végétation explose et les animaux comme les humains cherchent l'âme sœur.
Partout dans le monde, des aliments fermentés sont consommés ou offerts lors des rites et des cérémonies religieuses autour de ces célébrations. Les religions païennes pré celtiques et celtiques de la région limousine nous ont légué des brioches à 3 pointes appelées "cornues". À l'origine elles étaient faites en pâte à fouace, et chaque boulanger, ou plutôt fouacier, avait sa recette qu'il tenait secrète. Avant la fouace, ce devaient être simplement des petits pains que l'on échangeait pour l'occasion.
Leur forme est plutôt spéciale : elles ont trois cornes. Autrefois, l'une des cornes étaient plus allongée que les autres, je ne vais pas vous faire un dessin, ce qui donnait une forme phallique très en accord avec les rites de fertilité-fécondité. C'est l’Évêque de Limoges qui, au XVIII° siècle, a demandé aux boulangers de "moraliser" la forme de leurs cornues, parce qu'elles devaient être bénies à la messe du dimanche, et cela faisait désordre.
Pas loin dans les Charentes, on trouve aussi les cornuelles, en forme de triangle percé d'un trou au centre, c'est donc la version féminine des cornues, représentant le triangle pubien féminin, je ne vais pas vous faire un dessin non plus. Comme celles de Limoges, ces pâtisseries étaient accrochées aux rameaux de buis et bénies dans l'église lors de la messe des rameaux. Il a bien fallu que le clergé adapte les rituels anciens et se les approprie, tellement ils étaient ancrés dans la population. Une interdiction était tout simplement vouée à l'échec : quand on sait la persistance des cultures alimentaires à travers les millénaires, on le comprend. En grattant le vernis, on retrouve encore ces symboles "gaulois" dans tous les sens du terme !
Cornue, vous dites ? Tiens tiens, un dieu celtique de la fertilité ne s'appelait-il pas Cernunnos, ce qui signifie "le cornu", et n'était-il pas représenté portant des bois de cerf sur la tête ? Le cerf étant un animal symbole de fertilité. Coïncidence ?
(crédit photo Wikipedia)
L'Église catholique a pudiquement recadré le symbolisme : les trois cornes de la cornue et les trois pointes du triangle de la cornuelle symboliseraient en fait la saine trinité. Ou les cornes du diable qu'on mangerait pour le ridiculiser et l'anéantir, de le même manière que les cornes de Cernunnos, quelle ironie, sont devenues celles des maris trompés. Bon,si ça arrange leurs chastes oreilles. Mais alors que disent-ils pour les pignes, ou pines qu'on fait aussi à la même saison dans les Charentes, et qui ont ni plus ni moins la forme de ce à quoi vous pensez, et que rigoureusement ma mère m'interdit de nommer ici ?
Si vous voulez cuire une fournée de cornues, en pâte à fouace comme autrefois, cela se fait sur 2 jours.
La pâte est enrichie avec de la crème de lait : si vous avez du lait cru, collectez la crème qui remonte à la surface. Elle donnera une petite saveur acidulée et lactique à votre fouace. Sinon, prenez de la crème fraîche liquide tout simplement.
Pour faire 16 cornues :
Pour le levain:
50 g de levain chef mûr
50 g de lait tiède
80 g de farine de blé T 65
Pour la pâte finale:
400 g de farine de blé T 65
80 g de sucre
10 g de sel
3 oeufs + 1 pour la dorure
50 g de crème de lait
Environ 100 g de lait
80 g de beurre à température ambiante
80 g de fruits confits (facultatif)
1 cuil. à soupe d'eau de fleur d'oranger (facultatif aussi)
Des grains de sucre.
Le jour 1 :
Le matin : premier rafraîchi. Mélangez votre levain chef avec 20 g de lait tiède et 30 g de farine. Laissez fermenter 4 à 5 heures au chaud.
L'après midi : second rafraîchi. Ajoutez 30 g de lait tiède et 50 g de farine dans le levain. Laissez fermenter encore 4 à 5 heures.
Le soir : préparez la pâte finale.
Cassez les oeufs dans un bol placé sur votre balance de cuisine. Ajoutez la crème fraîche. Complétez avec le lait jusqu'à 260 grammes.
Mettez votre levain dans le bol du robot pétrisseur ou dans un grand saladier si vous pétrissez à la main. Ajoutez la farine, le sucre et le sel, puis le mélange aux oeufs. Pétrissez à petite vitesse (1 à 2 au Kenwood) jusqu'à ce que la pâte se décolle de la cuve. Incorporez le beurre morceau par morceau, tout en pétrissant à vitesse lente. Lorsque tout le beurre est incorporé, continuez de pétrir jusqu'à ce que la pâte se redécolle.
Faites une boule, couvrez-la d'un film alimentaire et laissez-la reposer toute la nuit à température ambiante fraîche (17°C), ou bien dans la partie la moins froide du frigo.
Le jour 2 : le façonnage et la cuisson
Partagez la pâte en 16 portions que vous roulez en boule avant de faire des boudins ayant une extrémité plus fine que l'autre. Avec un coupe pâte, incisez chaque boudin du côté épais jusqu'à la moitié de sa hauteur pour faire les deux cornes, et écartez lesdites cornes.
Rangez-les sur 2 plaques tapissées d'un papier sulfurisé, en les espaçant bien car ça va grossir ! Couvrez d'un linge, mettez dans un endroit chaud et laissez reposer 3 à 4 heures, jusqu'à ce que ça double de volume.
Allumez le four à 220°C. Badigeonnez les cornues d’œuf battu, et saupoudrez-les de sucre en grain. Enfournez pendant 15 à 20 minutes. Laissez-les refroidir sur une grille.
Par quelle corne allons nous commencer à croquer ?

Commentaires sur La cornue du Limousin, une brioche un brin gauloise...
- Belle hommage à la CornueMerci Marie-Claire pour ce très bel hommage à la Cornue et sa copine la Cornuelle. Comme tous vos lectrices et lecteurs j'apprécie beaucoup de connaitre les origines et les traditions des recettes.
Cette version au levain ressemble tout à fait d'aspect extérieur et intérieur (belle mie très alvéolée) à celle de mon enfance. Elles donnent envie d'y croquer à pleines dents.
Avec le café, une bonne gourmandise pour se réchauffer le cœur et les papilles avec ce début de printemps plus que timide ( j'arrive !!!!!!!!!!!!!! ) - Bonjour, je suis normand, je travaille sur les pâtisseries traditionnelles, en particulier les "échaudés", il semblerait que la cornue, cornuelle était à l'origine un échaudé (cuit dans de l'eau bouillante avant la cuisson au four). est-ce exact, possible, vraisemblable (http://www;vds-phl;fr, voir garot).
- Oui c'est bien possible, c'est même très probable. En tout cas je ne serais pas étonnée parce que cela ressemble à des pâtisseries fort anciennes étaient des échaudés.
On n'a pas vraiment d'infos sur les recettes originelles, elles ont été beaucoup réinterprétes par les boulangers et pâtissiers au fil des ans. En tout cas ici http://alain.bohere.pagesperso-orange.fr/Pages/page_32.htm
on donne une recette des rameaux de la même région qui est un échaudé....
si vous trouvez d'autres renseignements, cela m'intéresse aussi.
- Voici le fruit de mes recherches sur les origines de la cornue, cornuel, canolle:
La cornue est une tradition limousine de huit siècles: en 1175, à Limoges, l'abbé Hysembert fit distribuer le 2ème dimanche de Pâques, des "cornues" (galette moelleuse, faite de froment, œufs, beurre) à tous les frères qui se trouvaient ou pénétraient dans le cloitre de Saint-Martial.
Certains y ont vu un symbole de la Trinité, d'autres les vestiges d'un culte priapique (en 1750, l’évêque de Limoges, Monseigneur Jean-Gilles de Coëtlosquet demanda instamment aux pâtissiers de "moraliser" l'aspect de la cornue). Coutume pascale proche des "canolles" (faites à partir de pâte, par les particuliers), le dimanche des Rameaux.
Deux pâtissiers de Massignac (F-16310) avaient une spécialité (sans pâte à pain) uniquement avec de la farine et des œufs... et un petit secret: un verre de cognac.
A Brigueil, l'aspect tourmenté de la "cornue" ou "cornuelle" et "canolle" est à l'origine d'une légende: la pâtisserie était une moquerie sur le général anglais (bossu) qui assiégea la forteresse pendant la guerre de Cent Ans, sans parvenir à la prendre.
Légende différente à Rochechouart (87) où c'est le nom de cet homme de guerre anglais, chassé de la ville: Robert Knowles qui serait à l'origine du mot: "canolle". Maurice Bonin [2003]
Présentés dans un plat Renolleau, deux Cornues (mâle) en pâte à brioche bien levée, entourent une Cornuelle (femelle) en pâte sablée. Des grains d'anis enrobés décorent et parfument la pâtisserie.
Cornuel (s. m.): échaudé. "Deux ou trois petits pains blancs ou cornuyaux", 1456. (Arch. nat. JJ. 183, N. 160); Godefroy. Dictionnaire de l'ancienne langue française.
Cornuet. Sorte de pâtisserie avec un peu de lavande et qui a été ainsi nommée parce qu'elle a la figure de deux petites cornes disposées en compas à demi ouvert. Elle est en usage dans quelques endroits de la Champagne, où l'on en mange surtout pendant le carême. Les cornuets sont excellents, dépecés dans la sauce de la carpe à l'étuvée. (Dictionnaire de Trévoux).
M. de la Martinière trouve l'origine de la cornuelle dans la cornuta, sorte de pain de froment habituel aux moines de St-Martial dès le XIIIe s (Ch. de Lasteyrie, L'abbaye de St-Martial de Limoges, Picard, 1901, p. 471 et passim). Il fallait, dit un nécrologue de cette abbaye, six setiers de froment pour faire cent vingt cornutae (Ducange: Cornuta).
Ce mot a donné en langue d'Oc la cornuda. Par l'intermdiaire d'un diminutif aisément reconstituable (cornutella), il est devenu en français cornuelle.
Bonne lecture à vous tous - La Cornue
Passé le carrefour Beaupeyrat une vieille "Route d'Isle" devenue rue Pierre-et-Marie-Curie puis la rue de Bourneville, prolongent notre itinéraire jusqu'au territoire
communal d'Isle (87) et nous amènent ainsi au lieu-dit La Cornue.
Ce nom bien ancré dans la tradition festive limousine, évoque la brioche des Rameaux dont la forme d'étoile à trois branches rappelle le trivium : bifurcation de notre voie antique évidente sur nos documents. Nous en observons encore les traces ci-dessous, sur la photo verticale de l'IGN extraite de la mission de 1950.
photo ici --->> http://www.limousin-archeo-aero.fr/images_01pl1858.jpg
Notons au passage que le toponyme de "Cornue" ne peut remonter plus
haut que le Moyen-Age, époque à laquelle l'autorité écclésiastique prescrivit aux "pestors" (boulangers) et autres pétrisseurs de fougasses, de donner une nouvelle forme à trois pointes égales (ou presque !) à une brioche qui jusque-là illustrait crûment le mythe païen de la fertilité virile et printanière par une forme ouvertement et anatomiquement priapique. - Nous sommes d'accord, il serait intéressant de voir géographiquement cette répartition liée au nombre 3. le cônet de l'orne a 6 cornes (2fois 3), le bretzel devrait sa forme a un boulanger qui devait inventer en 3 jours un "pain", un gâteau dans lequel on verrait 3 fois le soleil. Pour le craquelin, le tortillon, la teurquette, le garot je n'ai pas de réponse. Nous avons encore beaucoup de travail à faire pour percer les secrets des échaudés sachant que leur préparation, usage, fonction a beaucoup évolué depuis leur création et surtout je pense depuis 50_100 ans, puisque certains portent le nom d'échaudé et ne le sont plus.
J'aimerai bien essayer, mais j'ai encore beaucoup de problème avec la montée de mes brioches.
Si je fais des cornues, je suis sure qu'il n'y aura aucun quiproquo, parce qu'elles seront un peu plates, genre étoiles à 3 branches.