Levrette et galanterie, symptômes d'anti-féminisme ?

La courtoisie peut-elle être mal placée et signe d'irrespect ? Et est-ce (vraiment) en combattant la galanterie masculine que l'on parviendra à l'égalité ?


Sélectionné et édité par Daphnée Leportois

Temps de lecture : 5 minutes

Parlons un peu de symboles féministes : j'ai des seins, un vagin et pas plus tard que la semaine dernière, un mec m'a tenu la porte dans une librairie.

Du coup, je suis super tentée d'aller poster un témoignage sur le blog trop-hype-féministe Vie de Meuf. Parce que sans déconner, les filles, j'ai clairement été victime de mépris et de discrimination sexiste, non ?

Je veux dire, on est féministe ou pas ? Oui ? Alors luttons, défendons la cause des femmes, et dénonçons ces salauds de mâles dominateurs qui pérennisent cette société phallocrate et sexiste, en refusant de nous claquer les portes dans la gueule ! Révoltons-nous ! Refusons les portes tenues ouvertes !

Photo de jdurham

On se calme. Je plaisante évidemment. Je suis contre le procès d'intention systématique, surtout quand il réduit le féminisme et la lutte contre le sexisme à des clichés ridicules auxquels on donne un sens tronqué.

Les symboles ne font pas tout. Ils sont certes nécessaires, et permettent souvent de mettre en évidence le bien-fondé d'une cause ou d'une action militante. Mais si on doit vraiment mettre en avant des symboles sexistes, pourquoi ne pas se concentrer sur ceux qui sont concrètement sous-tendus par une intention discriminatoire ?

La disparité des salaires entre hommes et femmes, par exemple, est une réalité tout autant qu'un symbole. Et on ne peut nier l'élément intentionnel sexiste dans la fixation d'un salaire inférieur pour les femmes. D'autres symboles peuvent être utilisés à bon escient, évidemment : les formulaires administratifs, souvent rédigés de façon sexiste, par exemple, et j'en passe.

En revanche, je ne suis pas persuadée qu'un type qui me tient la porte me considère automatiquement comme un être vulnérable, méprisable et faible. Je doute également qu'il cherche, en m'empêchant de prendre une porte dans la gueule, à me manifester sa supériorité sociale ou à m'écraser par sa puissance testostéronée de Mâle Alpha.

Alors bien sûr, éduquer les petits garçons à tenir la porte aux filles "parce que ce sont des filles", c'est très con. Et effectivement, ça freine les avancées en matière d'égalité des sexes. Tout comme dire aux petites filles "sois sage" et aux petits garçons "sois fort". Sans oublier la stupidité du rubriquage dans les catalogues de jouets.

Bref il y a largement de quoi s'indigner dans la société : ne nous focalisons pas sur de faux problèmes.

On tient la porte à quelqu'un par courtoisie, et non par galanterie. Quel que soit son sexe. Je tiens la porte à celui ou celle qui me suit, toujours. C'est une question de courtoisie. Et à mes yeux, le mec qui me claque une porte dans la gueule ne me prouve pas son respect en tant que son égale, mais simplement son manque d'éducation et son ignorance des règles de vie en société.

Photo de George Eastman House

Idem pour le fameux "problème" de l'addition au restaurant : me faire inviter au restaurant par un homme ne signifie pas pour autant qu'il veut m'acheter, me posséder, me rabaisser ou m'asservir à une "condition féminine" méprisable par principe. Et même les hommes que j'appellerai pudiquement les seniors ne manifestent pas forcément le désir de me prendre pour une merde vulnérable quand ils dégainent leur carte bleue.

Alors oui, on leur a "appris comme ça". Et ce n'est pas une bonne chose, ok. Mais plutôt que de montrer du doigt ce genre de comportements en supposant d'office un comportement sexiste, pourquoi ne pas expliquer qu'on partagerait volontiers l'addition, ou qu'on l'invitera la prochaine fois ?

Une invitation au restaurant n'est pas qu'un rendez-vous à une heure précise dans un endroit précis, c'est également une proposition qui implique un paramètre financier. La personne à qui on propose un repas au restaurant a peut-être envie de l'accepter parce que le rendez-vous lui fait plaisir, mais elle n'avait peut-être pas non plus prévu la dépense que suppose un repas payant. Je dirais que la courtoisie suppose alors une attitude relevant de la pure logique : celle ou celui qui lance l'invitation propose de payer l'addition. Libre à l'autre de proposer le partage, ou d'accepter en précisant : "Merci beaucoup ! La prochaine fois, c'est moi qui invite !"

En ce qui concerne le sexe, où les rapports de force sont bien plus présents qu'on ne le pense, le comportement des hommes et des femmes est fortement influencé par les conditionnements de genre. Et quand Caroline de Haas (porte-parole d'Osez le Féminisme) encourage la sodomie masculine, sous prétexte que la prostate garantit un orgasme plus fort, je ne peux m'empêcher d'approuver Luc Le Vaillant qui explique que ce genre de proposition normative n'est pas une solution au sexisme, mais un argument révélateur de ce qui sous-tend certains symboles féministes, à savoir une guerre entre les sexes et la volonté de renverser le pouvoir du Mâle pour le remplacer par le pouvoir de la Femelle.

Or, ce qui est important, c'est de lutter pour l'égalité, pas pour le pouvoir. Vouloir imposer une pratique sexuelle à un homme sous prétexte que son plaisir y gagnera, même quand la proposition est scientifiquement étayée, et faire de cette pratique un symbole, ce n'est ni plus ni moins qu'une volonté de le soumettre, sans tenir compte de ces désirs. Et remplacer une norme par une autre en expliquant à l'un des deux sexes ce qu'il doit être et comment il doit agir, ce n'est pas de la lutte contre le sexisme, c'est du sexisme.

Une femme à quatre pattes, pénétrée en levrette, n'est pas soumise à la volonté de son partenaire, à partir du moment où elle souhaite se mettre à quatre pattes et être pénétrée en levrette. Une femme à genoux devant un homme, et prenant le pénis de cet homme dans sa bouche, n'est pas une victime de pratiques sexistes, tant qu'elle a réellement souhaité mettre ce pénis en bouche.

Personne ne devrait jamais insister pour se faire tailler une pipe. Mais aucune femme ne devrait jamais insister alors pour qu'un homme lui fasse un cunnilingus. Les sexologues qui voient dans le refus des hommes à lécher le sexe de leur copine un traumatisme à soigner sont donc sexistes.

Ce ne sont que des symboles, certes. Et comme tous les symboles, ils peuvent prêter à sourire, tant ils deviennent, au fil du temps, une caricature, un cliché.

Mais le sens profond des symboles genrés, sexuels ou sociaux, se trouve encore souvent ignoré. On préfère tabler sur un élément intentionnel facile, qui "sert la cause", et l'exprimer avec des phrases choc, plutôt que de se pencher sur la signification réelle des comportements des hommes. Et de ceux des femmes.

Le jour où les femmes qui trouvent normal de traiter les mecs de connards ne s'indigneront plus de se faire appeler connasses en retour, l'égalité des sexes aura fait un grand pas. Ce jour-là, on réalisera enfin que la lutte contre le sexisme, ce n'est pas une revanche à prendre ou des comportements discriminatoires à inverser, mais une véritable égalité à atteindre. Ne nous trompons pas de guerre.

Mais quoi qu'il arrive, les mecs, vous pouvez me tenir la porte et m'inviter au restaurant. Et la prochaine fois, ce sera mon tour, ok ?

Auteur parrainé par Benoît Raphaël