Parfois, l’intérieur du cerveau des gens me tue. Figurez-vous que j’ai été interpelée par un homme souhaitant me faire part de ses opinions très tranchées au sujet des sextoys. Comme je suis bonne fille et pas égoïste, je prends la plume pour partager ma consternation devant la condescendance et l’ignorance de certains spécimens de Mâles Alpha.

Un beau soir de décembre, sur Twitter, alors que  nous devisions entre amis, autour de choses sexuelles (nous parlions notamment du concept de puissance sexuelle masculine), la conversation a dérivé sur les sextoys. Nous n’étions pas du tout dans une polémique « pour ou contre ». Nous évoquions simplement les sextoys en les prenant pour ce qu’ils sont : des objets qui font jouir. Aucune prise de position offensive, rien de prosélyte, et bien sûr aucune mise en rivalité du pénis et du sextoy.

C’est alors qu’un charmant monsieur nous lança au vol cette superbe affirmation : « Les sextoys sont des escroqueries néo-libérales achevant de faire des femmes les esclaves du pénis ».

Ouah. Ca c’est de la sentence absolue dis-donc. Je veux dire, y a du lourd dans cette phrase sublime. Oui, je sais, je suis un peu simplette et je n’ai pas l’habitude de l’humour et du second degré (attention, humour et second degré dans cette phrase). J’ai donc bien conscience de ne pas faire le poids, intellectuellement, face à de vrais cerveaux qui habitent à la Ville.

Par conséquent, j’ai répondu de façon spontanée, voire primesautière. Entre autres choses, j’ai dit que les sextoys sont destinés à procurer un orgasme, ni plus ni moins. J’ai également dit que les sextoys les plus efficaces ne sont pas forcément phalliques (ils peuvent l’être, on est bien d’accord : mais le galet vibrant qui illustre l’article, il a l’air phallique, du genre à rendre une femme esclave du pénis ? Et le rabbit sans les oreilles sur le clito, ce ne serait pas forcément aussi bien, non ?), et que la pénétration, comment dire, euh… Enfin ce n’est pas la voie la plus courte vers l’orgasme. De fait, un grand nombre d’études ont mis en évidence que lors de la masturbation, les femmes sont plutôt rares à éprouver le besoin d’être pénétrées pour compléter la stimulation clitoridienne (affirmation à nuancer bien sûr, mais enfin c’est pour dire que l’orgasme  qu’on se procure seule ne suppose pas obligatoirement une pénétration vaginale).

Je pensais sincèrement ce que je disais, et je détachais clairement mes propos de toute considération commerciale : mon argumentation se basait sur une réflexion pertinente, sur une  bonne connaissance de l’anatomie en général, et de l’anatomie « érotique » en particulier, mais aussi sur des heures de recherche, d’interviews de professionnels, de lectures d’ouvrages sérieux et moins sérieux, bref j’utilisais avec mesure et recul les connaissances acquises dans l’exercice de ma profession. Non, je ne suis pas geisha, je suis journaliste spécialisée en sexo et psycho-sexo (oui, j’ai bien dit journaliste, et ce n’est pas sale).

Mais après m’être fait traiter de « pauvresse instrumentalisée par le con-sumérisme et les importations asiatiques », j’ai éclaté de rire et compris que même en faisant preuve d’intelligence (ça m’arrive parfois, j’aime bien, c’est frais), on ne peut pas lutter contre les grandes certitudes que confèrent les grandes ignorances.

Mais ce court échange  – si on peut appeler « échange » le fait de rétorquer des vérités basiques à quelqu’un qui prend les choses de très haut – m’a convaincue de l’utilité de proposer ici une mini-compilation de choses intelligentes qui ont été écrites autour des sextoys.

Enonçons quelques évidences

- Oui, le sextoy représente un business. Avec de l’argent, de la rentabilité, de la pub, des modes. Au même titre que les fringues, les baumes à lèvres hydratants, le cinéma ou la restauration. Pour autant, et même en faisant preuve de discernement face au matraquage commercial, on ne peut nier que s’habiller est bien utile, qu’avoir les lèvres gercées n’est pas très agréable, que voir un bon film peut constituer un moment de détente, de divertissement et/ou de culture, et que savourer un bon repas dans un restaurant n’est jamais déplaisant.

- Le sextoy n’est pas une innovation révolutionnaire qui serait la résultante d’une surenchère propre à notre époque. Et là je me permets de me citer (article paru dans le magazine Sensuelle), parce que ma foi, je me trouve fort pertinente, même un an après :

« Le sextoy a toujours existé. Dans l’Antiquité et jusqu’au Moyen Âge, il était admis, voire encouragé (on a retrouvé des récits de théologiens) que l’on utilise pour se donner du plaisir des objets spécialement destinés à cet usage : les olisbos chez les grecs, puis divers instruments destinés à tempérer les ardeurs des jeunes filles au Moyen Âge afin qu’elles atteignent l’orgasme même en l’absence d’un homme. A la Renaissance, ces objets sont baptisés « Gaude mihi » (« réjouis-moi » en latin, qui deviendra plus tard « godemichés »). Ils sont très à la mode, peuvent se commander sur mesure chez certains artisans et sont plutôt élaborés : on peut même en remplir certains de liquide afin de simuler l’éjaculation…

Au XIXe siècle, l’hystérie féminine était également soignée par des massages du clitoris, pratiqués par les médecins, souvent « assistés » de godemichés. Les raisons médicales de cette pratique écartaient donc tout obstacle moral. Le puritanisme a ensuite posé un voile du pudeur sur l’existence de ces accessoires du plaisir, et c’est à l’avènement des sex shops au tout début des années 70 que le sextoy, marginalisé, déconsidéré, a timidement refait surface, jusqu’au moment où l’accès massif à Internet l’a très clairement démocratisé en tant que compagnon de jeux pour toutes (surtout) et tous (aussi).

Agrémenter sa sexualité d’accessoires ne relève pas d’une démarche de compensation ou d’une insatisfaction dans la vie de couple, ni d’un besoin de concurrencer voire remplacer le pénis, mais simplement de la dimension ludique que l’on met dans l’érotisme. Jouer avec son plaisir est tout à fait naturel, ne témoigne pas d’un besoin de surenchère ni d’un trouble du comportement. Seule, ou en couple, le jeu est l’essence même de l’échange érotique. Et l’essentiel, pour s’épanouir, est de rester en adéquation avec ses propres désirs. Avec ou sans accessoires.

On constate cependant que depuis une dizaine d’années, les sextoys sont médiatisés, à travers différents supports (presse féminine, sites internet, séries télévisées…) ; seul fait notable dans la communication autour de l’objet,  il apparaît aujourd’hui démocratisé, parfois chic, souvent luxueux mais toujours ludique. La série « Sex and The City » a largement contribué à une forme d’émancipation autour du sextoy : le fameux Rabbit est devenu emblématique de l’utilisatrice avertie. Objet de plaisir présenté comme quasiment miraculeux, il a été chaleureusement vanté par le personnage de Samantha, qui était folle de son Rabbit… Et c’est ainsi que le Rabbit est devenu l’objet « tendance ».

La communication autour du sextoy lui donne souvent l’apparence d’une mode éphémère n’ayant que des enjeux commerciaux. Le formatage médiatique qui a peu à peu amené la sexualité à être considérée comme partie intégrante d’une succession de « tendances » (on a eu droit à la « mode » de l’échangisme, suivie de la « mode » de la bisexualité par exemple) a débordé sur le sextoy. Néanmoins, le rejet ou l’intérêt éprouvé pour ces accessoires ne devrait pas dépendre d’une influence publicitaire ou médiatique. »

Voilà, ça c’est ce que j’en disais dans l’article. Et sans vouloir donner l’impression de me kiffer à outrance, je trouve ça plutôt bien vu.

- Le sextoy ne provoque pas de troubles addictifs. Comme le dit très justement Alain Héril : « L’addiction est une pathologie. Or, ce n’est pas le sextoy qui va créer la pathologie mais l’organisation psychique défaillante de la personne. » (Alain héril, I love you).

- Le sextoy est un objet qui provoque mécaniquement un orgasme. Ce n’est pas un/e partenaire, ce n’est pas un confident, ce n’est pas une menace pour le couple, ce n’est pas un asservissement : c’est juste un objet qui fait jouir. Le sextoy sert à se procurer du plaisir, et se procurer du plaisir n’a rien de répréhensible ni de préjudiciable.  Avec ou sans objet, se faire jouir ne rend pas esclave de quoi que ce soit. Le sextoy peut être un objet vibrant, mais dans l’absolu ça peut être un bout de tissu, une façon particulière d’utiliser un rebord de chaise, un oreiller, bref l’accessoire utilisé pour atteindre l’orgasme est en fait toujours un sextoy.

- Les vibrations sur le clitoris, ça provoque vraiment un orgasme. Et l’orgasme, mmm, c’est bon.

- L’orgasme provoqué par le sextoy ne donne pas envie de quitter son/sa partenaire. Ca ne détourne pas non plus de la sexualité non vibrante. Ce n’est pas mieux. Ce n’est pas moins bien. C’est différent, et ce n’est pas un péché. On a le droit de se faire jouir comme on veut.

- Le sextoy peut être utilisé à deux. Ou à trois. Voire plus si l’alignement des planètes est favorable.

- Une femme qui possède un sextoy et qui se fait jouir avec n’est pas une pauvresse instrumentalisée. C’est une pauvresse instrumentalisée si elle en achète alors qu’elle n’a pas envie d’en utiliser. C’est une pauvresse instrumentalisée si elle en achète pour faire comme tout le monde, mais qu’elle n’en voulait pas vraiment. Mais à partir du moment où elle en achète un « pour goûter », et qu’elle apprécie la chose parce qu’elle se procure des orgasmes avec l’objet en question, c’est simplement une femme qui se fait plaisir. Et se faire plaisir, c’est en soi une preuve de pertinence et de bienveillance vis-à-vis de soi-même. Une autre preuve de pertinence est de ne pas se forcer si on n’aime pas ça.

- Etre pour ou contre le sextoy est aussi vain que d’être pour ou contre les brocolis. Et en terme de plaisir sexuel, prétendre que l’utilisation d’un sextoy rend la femme esclave du pénis constitue au final une affirmation qui est elle-même liberticide : car rien ne nous prive plus de notre liberté que de voir les conditions et moyens de notre accès au plaisir définis, analysés et condamnés par autrui.

Pour conclure, je vous invite à lire l’excellent article de Titiou Lecoq sur Arte.tv : « Les sextoys, un effet de mode ? ». Tout y est dit, et très bien dit.

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